Un Prix de la recherche pour notre équipe

Laura Merla et Sarah Murru ont remporté le 3ème prix de la recherche 2021 du Comité Femmes & Sciences, thématique « Genre et Covid 19 », pour leur recherche portant sur « L’hébergement alterné face au confinement en Italie: ajustements temporels et nouvelles pratiques de care » !

Cette étude porte sur la manière dont les parents divorcés/séparés vivant dans la région du Piémont (Italie) qui pratiquent l’hébergement alterné (HA) ont (ré)organisé la garde de leurs enfants pendant le confinement du printemps 2020. L’étude de l’HA en Italie, dans un contexte caractérisé par de fortes inégalités de genre et le rôle prépondérant des femmes dans la prise en charge des enfants (Naldini & Solera 2018), est particulièrement intéressante dans la mesure où, en général, ce mode de garde encourage non seulement l’implication des pères dans la prise en charge des enfants, mais a également un impact favorable sur la participation des mères au marché du travail, réduisant la pression temporelle liée à l’articulation entre travail rémunéré, prise en charge des enfants et loisirs (Bernardi & Mortelmans 2021). Dans cet article, elles examinent dans quelle mesure l’HA a pu résister à l’épreuve du confinement, si les aménagements mis en place ont renforcé la centralité des mères dans la prise en charge des enfants ou, au contraire, mené à un investissement plus important des pères, ainsi que les facteurs structurels ayant influencé ces choix et pratiques.

Elles conceptualisent le confinement comme une « épreuve-défi » (Martucelli 2015), définie comme « des défis historiques, socialement produits, et inégalement distribués, auxquels les individus doivent faire face » (Martuccelli 2006 : 12). Les épreuves-défis perturbent les routines de la vie (Caradec 2007), engagent une vision des individus comme acteur.trice.s (Martuccelli 2006) et constituent un opérateur analytique offrant une compréhension spécifique des structures et des phénomènes sociétaux car elles incarnent des moments où les acteur.trice.s sociaux se repositionnent, et où les structures, relations et inégalités sociales se révèlent – y compris dans la sphère familiale. En outre, elles opérationnalisent les épreuves-défis via une focale sur les pratiques quotidiennes au travers desquelles les individus « font » famille (Morgan 2011), et (ré)affirment, (re)produisent et (re)définissent leurs relations familiales. Cette double entrée permet d’analyser comment le confinement a perturbé les routines quotidiennes, ainsi que les nouvelles pratiques développées par les familles séparées en réponse à ces perturbations, tout en rendant visible le rôle des structures et inégalités sociales.

L’enquête s’appuie sur les récits de 12 familles, parmi lesquelles 19 parents ont été interviewés (9 pères et 10 mères), récoltés au printemps 2020 via des entretiens virtuels. Ces familles pratiquent un HA de minimum 30% chez un parent et 70% chez l’autre (avec une majorité d’hébergement égalitaire, soit 50-50%). Les participant.e.s présentent une variété de profils socio-économiques, avec une prépondérance de la classe moyenne-supérieure, ce qui reflète la réalité de l’HA en Italie. Les entretiens ont été retranscrits et analysés via une analyse thématique inductive, combinant analyse individuelle de chaque entretien afin d’identifier les catégories analytiques-clés, et analyse transversale du matériau, mettant en évidence les convergences et divergences entre familles.

Les résultats présentent les effets contradictoires du confinement sur les inégalités de genre entre parents, qui a façonné et renforcé la division inégale et genrée du care dans certains cas, tout en la remettant en question dans d’autres.

Premièrement, elles ont identifié quatre modèles de (ré)organisation de l’HA.

  • La mise en veille de l’HA, les enfants ayant résidé durant toute la période du confinement chez leur mère. Ce choix est motivé soit par des considérations liées au bien-être des enfants (leur offrir un environnement relationnel ou matériel plus adapté au confinement), soit pour des raisons sanitaires (éviter de faire circuler le virus entre plusieurs foyers). Ce dispositif renforce la mère en tant que pourvoyeuse de care, dans la mesure où elles ont assumé seules – ou parfois avec l’aide d’un nouveau partenaire – la charge du soin aux enfants.
  • Le maintien d’un statu quo (relatif), où les marges de manoeuvre pour revoir les rythmes de l’alternance sont fortement limitées par des conflits parentaux présents ou passés. Certains changements apparaissent cependant, soit parce que la mère s’occupe davantage des enfants en journée, soit parce que les beaux-parents et les pères s’engagent dans de nouvelles pratiques de soins. L’équilibre travail-famille-école joue ici un rôle-clé.
  • La séparation des fratries, chaque parent hébergeant en permanence au moins un enfant (avec des calendriers variés d’alternance), souvent sous l’impulsion des enfants eux-mêmes. Ces nouvelles modalités sont principalement motivées par des aspects matériels (notamment s’assurer d’un espace suffisant et d’une bonne connexion internet) et relationnels (éviter les conflits entre enfants). L’on observe que l’implication paternelle est accrue.
  • La mise en place de modalités d’hébergement différentes au sein d’une même fratrie, les parents maintenant les routines établies pour les plus jeunes tout en laissant l’autonomie à l’aîné de suivre ses désirs – dans ce cas, résider surtout chez la mère, ce qui accroît l’investissement de cette dernière –, pour des raisons d’ordre matériel (privilégier la maison où l’enfant a une chambre à soi) et relationnel.

Cette typologie montre donc que, si certaines familles ont renforcé l’implication maternelle, dans d’autres en revanche, les pères se sont davantage investis en accueillant continuellement au moins un enfant – ce qui implique aussi l’accomplissement de tâches habituellement réalisées par les femmes – et, dans certains cas, en passant d’un arrangement 70-30 à un calendrier égalitaire (soit, 50-50).

Deuxièmement, l’analyse a mis en évidence trois dimensions structurelles influant sur les (re)configurations en confinement et les pratiques parentales genrées : 

  • Les conditions matérielles: il est à noter que les tribunaux italiens attribuent majoritairement le logement familial (pré-séparation) aux mères après séparation. Ce logement est apparu plus adapté et attractif dans un contexte de confinement, renforçant les mères comme principales responsables du care. Cela dit, les conditions de logement et la nécessité de garantir une connexion internet stable a également incité les parents télétravailleurs dont les enfants suivent des cours en ligne à augmenter la présence des enfants dans le logement disposant de la meilleure connexion internet (augmentant ainsi la charge pour ce parent) ou à répartir les fratries entre les foyers. Ceci a eu pour effet de renforcer l’implication paternelle.
  • Les inégalités de genre sur le marché du travail italien : de nombreuses mères adaptaient déjà leurs horaires de travail pour leurs enfants (soit en travaillant à temps partiel, soit en étant indépendantes et en disposant d’une certaine souplesse dans l’organisation des horaires) et ont continué à le faire pendant le confinement. En revanche, très peu de pères travaillaient à temps partiel ou étaient indépendants, et la plupart des pères ont continué à travailler à distance ou sur leur lieu de travail.
  • Les inégalités en matière d’articulation entre famille, travail professionnel, et travail scolaire : la centralité des mères dans les familles séparées est soutenue par le système scolaire italien dont les horaires restreints (l’école se termine vers 13h dès l’âge de 11 ans) sont peu compatibles avec le travail salarié des deux parents. Avec le confinement et la fermeture des écoles, de nombreuses familles ont modifié le rythme de l’alternance, privilégiant des séquences plus longues chez chaque parent aux alternances courtes pratiquées jusqu’alors. Ceci a également accru l’implication des pères dans la supervision de l’enseignement à domicile.

En conclusion, cette étude montre que l’HA a constitué dans une certaine mesure, une ressource pour faire face au confinement, s’avérant particulièrement utile pour limiter les impacts négatifs sur le bien-être des membres de la famille, en permettant aux parents de répartir le poids (et les aspects positifs) du confinement sur deux ménages, de faire face aux contraintes matérielles et de gérer, voire de réduire, les tensions entre parents et enfants et au sein des fratries. Elle complexifie également l’étude des aspects genrés de la parentalité post-séparation. Les recherches sur l’HA tendent à considérer que la parentalité partagée remet automatiquement en cause les inégalités de genre dans la parentalité (Davies 2015). L’hypothèse générale est que les pères divorcés qui hébergent leurs enfants pendant la nuit vont automatiquement assumer une part plus importante des tâches de soins, y compris celles habituellement effectuées par les mères (Vrolijk & Keizer 2021). Il ressort pourtant de cette étude que les pères s’impliquaient moins que les mères dans le soin des enfants avant le covid, et ce même dans le cadre d’un hébergement égalitaire. Certains pères ont également mis l’accent sur le rôle joué par leur nouvelle partenaire, montrant ainsi que les tâches de care peuvent être assumées par d’autres femmes dans le ménage du père – ou, dans certains cas, par les enfants plus âgés et les filles en particulier. Ces observations soulignent la nécessité de prendre en considération tant les nuitées que les journées, de retracer ce que les membres de la famille font pendant ces moments ensemble, et de déplacer la focale de la parentalité partagée vers les ” shared care families ” (Davies 2015 : 11) – une conceptualisation qui prend en compte la variété des personnes impliquées dans ce qui est considéré comme une parentalité partagée.

Les résultats de cette étude ont été publiés en anglais et peuvent être consultés ici

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Auteur:

Sarah Murru

I have a PhD in social and political sciences (ULB) and I am particularly interested in the study of various forms of resistance. My doctoral dissertation was focused on Single Moms’ resistance in Vietnam, which also triggered my interest in the various forms of family organizations. Within the MobileKids research project, my work focuses on the everyday forms of resistance mobilized by children of separated parents and living in shared physical custody. In other words, , I seek to understand how children are actors inside this reality and if they develop strategies, tactics or other creative responses towards situations/decisions that trouble or disturb them. My field of study is in Turin, Italy.