Retour sur la recherche des étudiants de MA1 sur l’hébergement alterné

Dans le cadre du séminaire de pratiques sociologiques, les étudiants de Master 1 en Sociologie étaient amenés à choisir parmi trois thématiques pour effectuer un petit terrain qualitatif : genre et métiers du numérique, familles transnationales, et hébergement alterné – cette dernière thématique étant celle dont j’étais en charge. J’ai donc suivi le travail, durant toute la durée du séminaire, de Adelle, Camille, Noémie et Vincent qui ont choisi d’effectuer une recherche sur l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTICs) dans le cadre de l’hébergement alterné égalitaire en Belgique.

Pratiquement, il leur était demandé de recruter chacun 4 adolescents et de mener un entretien individuel en vue de répondre à une même question de recherche qu’ils avaient développée ensemble. De plus, il leur était demandé de mobiliser une méthode de recherche ‘dynamique’ pour alimenter leur entretien. En effet, les recherches menées en Sociologie de l’enfance et de l’adolescence mettent en avant qu’un simple entretien semi-directif n’est généralement pas très parlant avec un jeune publique et que la mobilisation de méthodes plus participatives, tels que des petits jeux, des vignettes, ou autres cas fictifs, permettent davantage d’ouvrir la parole de ceux-ci. Dans cette perspective, mes étudiants ont choisi de mobiliser des Circle Maps (ou sociogramme) afin de cartographier les réseaux de proximité et d’intimité des adolescents en question et de pouvoir les questionner sur les divers supports numériques ou applications qu’ils mobilisent pour échanger dans ces différents contextes.

Le fruit de leur travail est disponible sous la forme d’un blog qu’ils ont alimenté progressivement tout au long de leur recherche. Toutes les différentes étapes, les lectures et concepts théoriques mobilisés, les méthodes qu’ils ont employées, les résultats obtenus, ainsi que les différentes réflexions qui ont accompagné cette recherche et les choix qui y sont associés, sont disponibles à l’adresse suivante : https://hebergementalterneetutilisationdesntics.wordpress.com

Leur recherche sur l’utilisation des NTICs par les adolescents en hébergement alterné égalitaire nous apprend principalement deux choses. Premièrement, ces adolescents ont l’impression que les NTICs les rendent partiellement autonomes, dans le sens où ils ont une ouverture vers une bulle d’intimité, mais qu’en même temps, ils s’inquiètent d’une trop grande dépendance à l’outil numérique. Mes étudiants étaient d’ailleurs surpris de constater que les adolescents qu’ils ont rencontrés, en grande partie, mettaient un point d’honneur à ce qu’on ne les méprenne pour le cliché de l’ado hyperconnecté. Ils prenaient soin d’expliquer qu’ils étaient capables de se mettre des limites et qu’ils ne passaient pas tout leur temps sur leurs smartphones. Par ailleurs, cet usage était bien souvent conditionné aux différentes règles propres aux différents foyers dans lesquels ils résident. Ceci leur a donc poussé à plus parler de l’agentivité des adolescents au regard de leurs pratiques numériques, plutôt que leur autonomisation. Deuxièmement, les échanges avec les adolescents ont mis en avant une utilisation des outils numériques qui est faite dans le but d’entretenir un sentiment d’intimité. En effet, ceux-ci mettaient en avant que les NTICs sont souvent un facilitateur pour aborder des sujets intimes, qu’ils se sentent parfois plus à l’aise de parler de tels sujets par écran interposé plutôt que face à face. Toutefois, ils mettaient également en avant que les relations intimes naissent toujours d’abord face à face. L’outil numérique sert donc à solidifier cette relation mais ne la crée pas d’emblée. Ceci était particulièrement mis en avant dans le contexte d’adolescents en hébergement alterné où le smartphone et les différentes applications de messagerie instantanée, leurs permettaient de maintenir des contacts et un degré d’intimité avec leurs amis les plus chers dans un contexte où ils ne les voient parfois pas autant d’une semaine à une autre, en fonction de leur lieu de résidence.

Mais ce que je retiens en particulier de leur travail, c’est toute la réflexion qu’ils ont eue autour de l’utilisation des Circle Maps. En effet, j’ai trouvé leur idée de mettre en parallèle deux Circle Maps, une sur la proximité physique et l’autre sur le degré d’intimité, extrêmement pertinente. Cela permettait de faire ressortir les divergences entre des personnes qu’ils voient souvent mais avec qui ils ne se sentent pas spécialement proches (comme un beau-parent par exemple) ou, a contrario, les personnes qu’ils voient moins souvent depuis la séparation de leurs parents, mais avec qui ils entretiennent un degré élevé d’intimité, notamment via l’utilisation de la communication en ligne. De plus, les étudiants ont mis en avant à quel point ce petit exercice permettait de développer un contexte de participation – car c’est l’adolescent qui plaçait lui-même les différentes personnes sur la carte – et cela avait vraiment permis d’ouvrir le dialogue.

Ceci a donc en échange fortement nourri mes réflexions sur le développement de mon propre dispositif de recherche. J’ai en effet décidé de mobiliser l’utilisation de la Circle Maps dans le même esprit qu’eux, confrontant proximité physique et degré d’intimité. De mon côté, je ne cherche pas à voir comment les outils numériques entrent dans cette configuration mais plutôt d’avoir un moyen moins formel et plus participatif pour ouvrir la discussion sur les relations qui sont moins agréables, sur les tensions éventuelles ou, justement, sur les relations qui sont très importantes pour eux et voir comment la vie entre deux maisons influence ces rapports.

Ce suivi du groupe d’étudiants travaillant sur la question de l’hébergement alterné aura donc été extrêmement enrichissant pour moi et cela, je le dois en grande partie à l’excellent travail fourni par ceux-ci durant toute la durée du séminaire et en particulier sur leur engagement à développer un volet réflexif à chaque étape du processus de recherche.

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Auteur:

Sarah Murru

I have a PhD in social and political sciences (ULB) and I am particularly interested in the study of various forms of resistance. My doctoral dissertation was focused on Single Moms’ resistance in Vietnam, which also triggered my interest in the various forms of family organizations. Within the MobileKids research project, my work focuses on the everyday forms of resistance mobilized by children of separated parents and living in shared physical custody. In other words, , I seek to understand how children are actors inside this reality and if they develop strategies, tactics or other creative responses towards situations/decisions that trouble or disturb them. My field of study is in Turin, Italy.