Ethique et recherche qualitative en sciences sociales

Retour sur le 6ème Festival Suisse des méthodes qualitatives

« Ethique et recherche qualitative en sciences sociales »

Les 14 et 15 septembre 2017, nous avons participé au 6ème Festival Suisse des méthodes qualitatives, à l’Université de Lausanne. Celui-ci proposait plusieurs ateliers de recherche au sein desquels étaient présentées diverses méthodes qualitatives et mixtes plus ou moins innovantes. Cette année, la thématique transversale du festival portait sur les enjeux et les défis éthiques dans le domaine de la recherche qualitative.

Souhaitant donner la parole aux enfants dans le cadre de notre recherche, participer à cette plateforme d’échange entre chercheur(e)s des sciences humaines et sociales au sujet de l’usage et de la mise en application de diverses méthodes participatives, a fortement éveillé mon intérêt. Je vais vous présenter ici brièvement les 3 ateliers auxquels j’ai participé et l’apport que j’en ai tiré pour ma propre recherche.

Sociologie visuelle
Cet atelier mené par Jenny Maggi, chercheure en sociologie à l’Université de Genève, m’a permis de découvrir ce que recouvre globalement le champ de la sociologie visuelle. Elle y a abordé la manière dont les images filmiques et/ou photographiques peuvent être enregistrées, comment celles-ci s’analysent et comment elles peuvent être mobilisées pour communiquer les résultats d’une recherche. Dans le cadre de ma recherche, je combinerai deux méthodes de la sociologie avec les images : dans un premier temps, la photovoice qui consiste en la production subjective d’images. En demandant à l’enfant de photographier un aspect particulier de sa vie (sa famille, son chez-soi, etc.), cela me permettra de comprendre la manière dont celui-ci perçoit et interprète le monde (Johnson et al., 2012). Seul l’enfant lui-même peut expliquer et interpréter les photos qu’il a produites. C’est pourquoi je mènerai avec lui dans un deuxième temps, un entretien semi-structuré, sur base de celles-ci et non sur base d’un guide d’entretien. C’est ce que J. Maggy a présenté comme étant la méthode de la photo-elicitation. De par leur fonction émotive, les images permettent de susciter des réactions spontanées et immédiates et d’aborder ainsi le vécu profond, les sentiments, les émotions, etc. des enfants. Mon projet de recherche étant orienté entre autres sur les relations familiales et les émotions y afférentes, participer à cet atelier m’a confirmé la pertinence du choix de cette méthode pour ma recherche et m’a permis de recueillir certaines bases théoriques et quelques références bibliographiques essentielles pour l’usage de cette méthode.

Grounded Theory Method (GTM)
Cet atelier mené par Christophe Lejeune de l’Université Libre de Liège remettait en question ce que l’on entend exactement par la Grounded Theory Method. En effet, de nombreuses recherches qualitatives se disent mobiliser cette méthode de la théorisation ancrée mais peu finalement rassemblent l’ensemble des critères principaux que sont l’étiquetage de l’expérience vécue, la tenue d’un journal de bord et l’élaboration d’une conceptualisation originale (Lejeune, 2014). A côté de la prise de conscience que la GTM est une méthode à part entière et non pas une « formalisation générique de la recherche qualitative », cet atelier m’a également permis de découvrir sa mise en œuvre concrète à partir de l’expérience de terrain de C. Lejeune. Aujourd’hui, je ne suis pas encore sûre que je mobiliserai cette méthode intégralement, mais celle-ci m’est déjà bien utile quant à l’organisation de la recherche. En effet, celle-ci met en avant qu’il ne s’agit pas de mener sa recherche de manière séquentielle à travers le temps mais bien de mener chacune des étapes parallèlement aux autres, tel qu’illustrer par le schéma ci-dessous (Lejeune, 2014 : 22). Il s’agit ainsi de problématiser ma question de recherche, de collecter les données, de les analyser, de rédiger des résultats intermédiaires et de revenir ainsi constamment aux différentes étapes tout au long du processus de recherche.

Comment « s’imposer aux imposants » : Théorie et pratique de l’entretien auprès des dirigeants
Samy Cohen, directeur de recherche émérite au CERI, le Centre d’études et de recherches internationales de Sciences Po à Paris a mis en avant lors de son atelier les difficultés que le chercheur peut rencontrer ainsi que les erreurs à éviter en abordant le milieu des « dirigeants ». Mobiliser l’entretien semi-directif semble être le plus adéquat en raison des nombreuses possibilités que cet outil offre tout en sachant qu’il a également des limites dont il faut tenir compte. Cet atelier m’a permis d’avoir une vue d’ensemble sur la manière dont je devrais me préparer à ce type d’entretien si je suis amenée au cours de ma recherche à rencontrer des « dirigeants » pour définir le contexte institutionnel au sein duquel les familles multi-locales se trouvent.

A côté de ces trois ateliers, j’ai également assisté aux tables rondes et à la keynote sur l’éthique dans le domaine de la recherche qualitative. Les questions centrales portaient sur les enjeux et les défis éthiques, liés à la mise en œuvre des différentes méthodes de collecte et d’analyse des données ainsi que sur les limites et les contraintes que cela peut entraîner pour nos recherches. A l’issue de ces différentes discussions, voici ce que j’ai pu en ressortir. Sur base principalement des propos tenus par J-L Genard de l’Université Libre de Bruxelles, je souhaite relever que le retour des questions éthiques pose également des questions épistémologiques et méthodologiques. Le modèle de scientificité a exclu l’éthique de nos méthodes, alors qu’elle en fait partie intégrante. En effet, les questions d’éthique se retrouvent au niveau des enjeux déontologiques, du respect des enquêtés, et des enjeux esthétiques tel que l’aspect affectif du chercheur. Ainsi l’éthique doit être pensée tant au niveau de l’enquêté qu’au niveau de l’enquêteur lui-même. Mais est-il possible de prévenir tous ces risques au préalable ou faut-il penser ces aspects éthiques comme inhérents à l’activité de la recherche ? Les questions éthiques ne relèvent-elles pas plutôt de la posture du chercheur que du terrain lui-même ? Voici encore quelques questions que ces réflexions ont suscité chez moi.

Bibliographie :
– Johnson, G. A., Pfister A. E, Vindrola-Padros C., (2012), “Drawings, Photos and Performances : Using Visual Methods with Children”, Visual Anthropology Review, 28 (2) : 164-178
– Lejeune, C. (2014), Manuel d’analyse qualitative. Analyser sans compter ni classer, Louvain-la-Neuve : de Boek

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Auteur:

Bérengère Nobels

Je suis doctorante à l’Université catholique de Louvain au sein du CIRFASE. J’ai suivi mes études de Sociologie à l’Université Libre de Bruxelles où j’ai réalisé un mémoire sur les stratégies et les pratiques scolaires déployées au sein des écoles d’une commune gentrifiée de Bruxelles, en mêlant sociologie urbaine et sociologie de l’éducation. Je m’intéresse ainsi tout particulièrement à la manière dont les pratiques sociales et familiales s’inscrivent dans l’espace. C’est pourquoi, dans le cadre du projet MobileKids, je cherche à comprendre comment les enfants de parents séparés construisent leur ‘chez-soi’ dans un contexte de multi-localité.